Chronique d’une adjoumoni 아주머니 qui apprend plein de choses en regardant des KDrama. Article 4.3.
La culture du pardon ou Comment comprendre les valeurs essentielles de la culture coréenne : 4 clés incontournables : 우리 URI, 정 JEONG, 한 HAN, 눈치 NUNCHI.
Découvrir une culture, c’est avant tout tenter de comprendre les émotions, les états d’esprit… qui sont ressentis différemment en fonction de ladite culture. Le bonheur, la tristesse, la colère, le regret et d’autres types de sentiment s’expriment de façons variées, parfois surprenantes pour quelqu’un qui ne connaît pas, ou prou, le contexte culturel et historique.
Or, voir vivre et agir les Coréens dans les Kdrama, même s’il ne s’agit que de situations cinématographiques, nous expose à beaucoup d’interrogations. C’est en tentant de mieux appréhender les choses, que sans le savoir, j’ai mis, le doigt, la main, le bras, puis le cœur tout entier, dans cette passionnante et si riche culture coréenne !
Dans cet article, je ne prétends pas vous expliquer chacun de ces quatre concepts si complexes, car ils méritent tous, pour le moins, un livre chacun. Je ne suis pas coréanologue, loin s’en faut ! Je vais juste vous présenter ces 4 clés essentielles pour mieux comprendre les Coréens, leur culture et donc, par extension les Kdrama !
URI 우리
Dans un Kdrama, il y a une jeune femme qui finit par adopter un chat errant. Après mûres réflexions, elle décide de le nommer : 우리ouri. Son compagnon lui demande pourquoi ce nom et elle répond : « parce que ce chat fait partie de notre maison, de notre famille mais qu’en même temps, il est fier et solitaire». Son compagnon lui fait un large sourire !
J’ai appuyé sur « pause ». Un large sourire ??? Un Coréen qui fait un large sourire ? Je me suis alors dit qu’il y avait quelque chose à comprendre sous ce 우리 et que ce sourire équivalait à un « Excellent ! + éclat de rire » de par chez nous ! Alors en quoi ce nom URI était-il si fin ? J’ai donc cherché !
J’ai d’abord trouvé la définition ci-dessous :
우리 URI, est le pronom personnel pluriel : NOUS. C’est aussi une valeur sémantique. C’est la première personne du pluriel coréen dans ses emplois lexicaux. Mais c’est aussi un marqueur qui exprime différentes valeurs de pluralité, alors que dans le groupe nominal, il indique l’appartenance du locuteur à un collectif social, ou, parfois, exclusivement à la communauté coréenne.
Vous n’avez rien compris ? Moi non plus ! J’ai donc poussé mes recherches. Et là, j’ai découvert, qu’il s’agissait de bien plus que du pronom personnel pluriel : NOUS.
Les Coréens sont connus et reconnus pour leurs extraordinaires capacités collectives de discipline et de mobilisation. Le URI est en fait un terme miroir de la société et de la culture coréennes pour mieux affirmer l’importance du collectif. (Le JE est très rarement employé. Seuls les enfants et les étrangers l’utilisent).
Dans un pays où le groupe est plus important que l’individu, le URI est omniprésent. On dit « notre mère » même si on est enfant unique, notre mari (bien qu’il soit monogame). Et surtout URI NARA. Les quelques 75 millions de Coréens désignent vraiment leur pays par ces deux mots : URI NARA que l’on peut traduire par « notre patrie chère à notre cœur ».
Le URI n’est pas conçu comme la juxtaposition d’individualités, mais bel et bien, comme un ensemble de personnes ne se connaissant pas forcément, mais liées par une forme d’empathie et de bienveillance.
En Corée, l’intérêt collectif prime toujours spontanément sur l’intérêt individuel. URI est en fait le reflet d’une cohésion sociale à l’intérieur d’un groupe réel ou virtuel. Ces groupes forment autant de cellules solidaires à la base de la société coréenne : famille, clan, école, collège, lycée, université, entreprise, nation.
Un exemple ? Quand ils passent l’équivalent de notre baccalauréat, tout le pays s’arrête, ou presque, pour faciliter l’accès des candidats. Mais n’oublions pas que ces jeunes portent alors sur leurs épaules tout l’honneur des parents, de la famille, du clan et des ancêtres !
Cependant, la domination de ce URI écrasant est à l’origine de multiples discriminations (sociales, physiques, de genre) et porte une lourde responsabilité dans le malaise de la jeunesse d’aujourd’hui à un point tel, qu’ils nomment leur pays : Hell Joseon.
JEONG 정
J’ai découvert ce mot sur l’excellent site de la Coréenne installée en France : MAYA (voir source ci-dessous). Le JEONG est une des clés pour comprendre la culture coréenne. Il donne sa cohésion au groupe en permettant au URI de précéder le JE.
La seule chose sur laquelle, Coréens et occidentaux sont d’accord à propos de JEONG c’est qu’il s’agit là du mot le plus intraduisible en langues étrangères. Même les Coréens ont du mal à le définir en quelques mots.
Le hanja sino-coréen, 情 (jeong) signifie « quelque chose de bleu (青) qui apparaît dans le cœur (心) ».
Le JEONG apparait comme une émotion externalisée installée entre les individus. Le JEONG c’est le liant entre les hommes. Une humanité spontanée qui se concrétise par des actions et qui ne reste pas au niveau de la simple émotion du cœur. Formant une sorte de compensation émotionnelle, le JEONG apporte un équilibre nécessaire aux relations sociales si codifiées.
Il semblerait que ce terme surgit triomphalement chaque fois que l’on vient à parler avec les Coréens de leur peuple et de sa psychologie. Pour eux cela ne fait aucun doute : ils ont du JEONG. Le JEONG est discret. Son intensité, il la tient de son talent à aller à pas feutrés, à agir en silence, sans se faire remarquer. Le propos, c’est de s’effacer pour laisser l’acte occuper le devant de la scène. Sa discrétion en fait la beauté. Ce n’est ni de l’amour, ni de la haine, mais quelque chose d’inexplicable et d’implicite qui n’appartient qu’à l’être humain (un « je ne sais quoi » qui lie les 사람 SALAM entre eux).
Aujourd’hui le JEONG disparait peu à peu remplacé par les classiques émotions individuelles : amour, envie, cupidité, égoïsme, générosité, bienveillance. Mais cette rupture, attisée par le HAN, peut amener à une crise de 화병 HWABYEONG, maladie mentale relevant de la psychiatrie, dont de plus en plus de Coréens ne sont malheureusement pas exempt.
HAN 한
Pour ce concept, quand on tape HAN sur GOOGLE, ça part dans tous les sens. Déjà il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas du fleuve HAN qui traverse SEOUL. Peut-être plus du HAN qui compose le mot HANgouk ou Corée en HANgueul ? En tout cas, on comprend vite que justement, ça ne va pas être simple à comprendre !
Ce mot, HAN est un des mots les plus caractéristiques de la culture coréenne. En sino-coréen, HAN est le cœur (心) qui stagne (艮). C’est un concept psychoculturel, une clé essentielle pour comprendre les réactions des Coréens, tant sur le plan personnel qu’à un niveau plus général.
HAN voudrait donc dire : émotion due à l’accumulation de dépits, de colères, de rancœur, de chagrin, de haine ou de ressentiment au cours du temps. Une tristesse mêlée d’espoir. Mais aussi : «A l’aide ! » ou encore « l’art du regret ».
Il s’agit là des nombreuses tentatives pour expliquer UN mot, qui est en fait UN concept et qui, lui non plus, n’a pas d’équivalent en langue occidentale ! Et en effet, il s’agit bien de la même syllabe 한 HAN (car c’est bien toujours le même hanja韓) que dans : Hanguk (한국 ; 韓國), Hangeul (한글 ; 韓字), Hanbok (한복 ; 韓服)…
Le HAN serait un genre de sentiment individuel et collectif qui pourrait être comparé avec la mélancolie, la nostalgie. C’est un spleen existentiel, fait de douleur, de rancœur portant sur le passé et des événements subis incontrôlables, souvent imputables à la destinée
Ce qui caractériserait le HAN serait l’absence de confiance de se sortir de la situation dans laquelle on est tombé. C’est se sentir victime sans espoir de retour, de changement, de réparation ou de compensation et se révolter intérieurement. Tant qu’il y a espoir de trouver une voie de sortie, on n’est pas vraiment dans le HAN.
Le HAN est un cri intérieur infini et profond, indissociable du contexte historique et socioculturel de la Corée. C’est la frustration de ne pas avoir agi comme on aurait voulu le faire, causant une tristesse profonde irréparable. Sans le HAN, ni le Pansori, ni le Arirang, chants populaires chers aux cœurs des Coréens, n’auraient la même profondeur ni la même résonance.
Pour ma part, je perçois alors, avec encore plus de nuances, une phrase entendue dans plusieurs Kdrama et qui a résonné en moi : « Tant que ce n’est pas fini… Ce n’est pas fini ! ». Et surtout, surtout, j’entends encore mieux, tous les silences qui débordent des images.
Quand il ne peut être « dénoué » le HAN peut déboucher sur une crise de화병 HWABYEONG, maladie mentale violente, à l’occasion de laquelle un individu « pète les plombs ».
NUNCHI 눈치
J’ai entendu pour la première fois ce mot dans le film #JeSuisLà (d’Eric LARTIGAU avec Alain CHABAT et l’actrice coréenne : 배두나BAE DOO NA – Sense8, Air dolly…).
Ce film n’est probablement pas un chef d’œuvre, mais ce qui m’a interpelé, et à l’époque je ne m’intéressai que de loin à la Corée, c’est l’ambiance pour moi « asiatique » qui en ressortait alors qu’il est réalisé par un occidental. Et surtout, ce mot que prononce l’actrice coréenne « N’avez-vous donc pas de NUNCHI ? ».
Et là encore, j’ai plongé sans gilet de sauvetage dans la culture du pays du Matin Frais !
Aujourd’hui très à la mode, finalement le NUNCHI c’est quoi ? Là encore, impossible de le traduire en un mot. Certains parlent d’intelligence émotionnelle, d’autres, de l’art à utiliser tous ses sens pour comprendre ce que les autres préssentent et ressentent et ce, sans utiliser de mots.
Pour vivre dans une société aussi contraignante et évaluer le risque tant redouté de perdre la face, les Coréens ont cette arme cultivée dès le plus jeune âge : le NUNCHI. Un art de la communication non-verbale faisant appel à tous les sens et permettant d’estimer le pouvoir (치CHI) du regard (눈NUN : œil). Parvenir à comprendre sans un mot ce que pensent les autres afin de se faire une opinion de la situation et de l’attitude à adopter. Le NUNCHI est donc une évaluation momentanée d’une situation tenant compte du contexte environnemental.
Le NUNCHI serait donc une sorte de « paralangage ». Les Coréens ne craignent pas le silence et ne meublent pas les blancs dans une conversation. Pour eux, le silence est à la fois une nécessité afin de ne pas réagir à chaud et un élément non langagier porteur de sens.
Des amis occidentaux m’ont souvent dit : «Mais comment fais-tu pour regarder tous ces Kdrama ? C’est lent, trop lent, il ne se passe rien ! Les acteurs sont fades, inexpressifs ! Ils ne parlent pas ! Sur plus de 16 heures, 2 auraient largement suffit pour raconter la même histoire ! ».
Pour moi, le NUNCHI c’est ça ! Comprendre que dans cette lenteur, dans ce silence, dans cette absence de mots, de gestes, tellement de choses sont exprimées et tellement mieux !
J’ai même entendu un jeune français en parler dans une de ses vidéos sur YouTube en 2021 : « Un conseil en passant ! Essayez de vous renseigner à défaut de comprendre, sur ce qu’est le NUNCHI ! J’en entends parler presque tous les jours ici, à SEOUL ! ».
Bien sûr chaque Coréen n’est pas expert en NUNCHI et ne parvient pas nécessairement à s’adapter continuellement à son environnement. Pire encore, on voit souvent dans les Kdrama des scènes où l’on se dit : « mais il est trop bouché celui-là, il ne comprend vraiment rien ! ». Mais ce n’est, bien sûr que du cinéma. A ce propos, avez-vous remarqué comme le bonheur se filme difficilement et comme il est beaucoup plus prolixe de filmer le malheur, la peine, les ennuis, les douleurs, le HAN, le JEONG ?
Un Occidental a-t-il du NUNCHI et si cela est possible, sait-il s’en servir ? Peut-il « vraiment » comprendre les concepts de URI, HAN et JEONG ? Ces infinis ressentis qui ne s’acquièrent pas, ne font-ils pas de lui cet éternel « étranger » ? En avoir parlé ici vous aidera-t-il à percevoir différemment les Kdrama ?
Je vous laisse trouver vos réponses, car finalement, c’est la seule chose qui a de l’importance !
PS : je vous remercie par avance de bien vouloir m’excuser pour ma prononciation de débutante en 한글 hangeul !
Mad in Palou P VII / 2022
Toutes ou presque, mes sources sont citées dans la chronique « SACERDOCE ».
Pour aller plus loin :
https://cldesol.blogspot.com/2013/02/han-et-jeong-chez-les-coreens.html
https://apprendrelecoreen.fr/5-mots-coreens-intraduisibles/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Han_(concept)
https://www.planete-coree.com/2021/05/09/le-han-lart-du-regret/
Proverbe coréen : 눈치가 빠르면 절에 가서도 젓국을 얻어 먹는다. Si quelqu’un a du NUNCHI sensible, il peut obtenir de la sauce de poisson même dans un temple bouddhiste (où la nourriture servie est uniquement vegan !).
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